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Être atteinte d’endométriose – comme c’est le cas de nombreuses maladies chroniques - ce n’est pas seulement souffrir physiquement, ça revêt aussi une dimension psychologique. Lorsque le soutien médical est inexistant, on se sent bien souvent démunie et on se retrouve totalement livrée à soi-même. La charge mentale autour de la maladie est ainsi extrêmement forte puisqu’on doit tout faire seule et notamment trouver des traitements alternatifs afin de se soulager tant bien que mal …

Et pour ne rien arranger, on a largement tendance à rendre les femmes responsables de leur pathologie, si elles sont malades, c’est leur faute. Laurène, 39 ans, rédactrice en chef interroge : « on reproche aux femmes d’aujourd’hui de boire, fumer, de ne pas faire attention à leur alimentation … Quid des perturbateurs endocriniens ? ». En effet, les femmes portent la culpabilité de leur condition. La charge mentale et la pression sociale qui pèse sur les « endo-girls » est alors très lourde, ce qui n’aide en rien à se sentir mieux quand on est déjà en souffrance. 

Être son propre médecin

On devient son propre médecin, quand on souffre d’endométriose. C’est ce que ressent Corentine, étudiante en joaillerie « même quand on va voir les médecins, ils n’ont pas la solution. À part l’opération et prescrire des pilules, ceux que j’ai vus me disent simplement de tester plein de choses … Mais ça coûte énormément d’argent ! Par exemple, une séance d’ostéopathie en Belgique coûte environ 65€ et ce n’est pas remboursé par la mutuelle. J’ai testé le CBD, c’est très cher, c’est facile à dire de tester tout ça, mais ce sont des choses qui ont un coût. J’ai la chance d’être avec quelqu’un qui peut me soutenir financièrement, si j’étais seule ce ne serait pas la même histoire. » Et puis, il y a une dimension très responsabilisante dans la phrase « testez plein de choses ». La responsabilité de trouver des thérapies alternatives et celle qui fonctionnera pour nous repose alors sur nos épaules. Il faut être à l’affut des dernières recherches médicales, en plus de devoir gérer la douleur, c’est épuisant.

Corentine nous explique « Je ne sais pas pourquoi je suis dans une telle errance médicale. Le gynéco qui m’a prise en charge arrive au bout de ce qu’il sait faire. Donc je suis un peu dans l’impasse. J’ai testé tout ce qui est thérapie alternatives et habituelles. Ma vie est pire qu’avant l’opération. Je désespère de trouver LE gynéco qui m’écoutera et qui me croira quant à mes douleurs et qui voudra bien creuser plus loin que juste me mettre sous pilule et me faire passer pour un rat de laboratoire qui teste toutes les pilules du marché. »

Lorsqu’elle s’adresse à ses patientes, la psychologue de santé spécialisée en gynécologie de santé, endométriose et adénomyose Corine Redondo-Lambert parle de « potentiels d’améliorations » plutôt que de thérapies alternatives et explique qu’en effet, « ça peut représenter une pression supplémentaire, et parfois on n’a pas le temps, on n’a pas l’envie ni la disponibilité, et c’est ok. Je fais bien comprendre à mes patientes que ce n’est parce que je les informe qu’elles ont et doivent trouver la force de le faire. Il n’y a pas lieu de culpabiliser. »

Rendre les femmes responsables de leur pathologie : les dérives des thérapies alternatives

Du côté des thérapies alternatives, la pression est différente, mais elle est bien présente. On culpabilise les femmes et on les rend responsables de leur pathologie : c’est parce qu’elles ne se sont pas remises de certains traumatismes, qu’elles n’ont pas soigné leur féminin blessé, qu’elles ont laissé les traumas prendre trop de place. Rendre les femmes ainsi responsables de leur pathologie relève de l’inversion. L’inversion est un concept théorisé par Malka Malkovich : on responsabilise les victimes plutôt que les agresseurs, ici, on remet la faute sur les femmes. Il s'agit selon elle d'un « mécanisme qui culpabilise les victimes et fait peser le doute sur leur comportement ou leur parole. » Ici, on culpabilise donc les femmes parce qu’elles ne sont pas capables de gérer, elles se sont créées ou aggravent elles-mêmes leur endométriose. Oui, beaucoup de femmes ont des traumatismes, mais ce n’est pas la faute de la victime, elle n’est pas responsable, il s’agit bel et bien d’un problème médical. Les thérapies alternatives ne sont pas exemptes de l’héritage patriarcal auquel on fait face dans notre société. Et puis c’est encore aux femmes que devoir porter la charge mentale, c’est encore une fois à elles de se prendre en charge et de se soigner elles-mêmes, puisqu’elles sont responsables de leur condition.

Dans l’épisode « Le Féminin sacré 2 » du podcast Méta de Choc, l’animatrice Élisabeth Feytit déplore le manque d’encadrement lors de rassemblements autour du féminin sacré « La plupart du temps les organisatrices se défendent de se substituer à un thérapeute conventionnel. Pourtant elles encouragent à la mise à nu des participantes, à une descente en soi pour reconquérir des parts perdues étouffées ou abusées, chemin indispensable de la guérison de leurs blessures historiques personnelles et transgénérationnelles. Dès lors, on imagine bien que les sujets abordés peuvent fortement déstabiliser et même engendrer de réelles crises personnelles et ce sans aucun cadre théorique ou professionnel fiable pour les accueillir. »

Corine Redondo-Lambert s’insurge « Sur les réseaux, dans les groupes d’endo-girls, on assiste à des dérives. On peut même s’entendre dire qu’on peut guérir l’endométriose et qu’il y a une marche à suivre bien précise. Ainsi, on sous-entend que si les femmes ont encore des douleurs et qu’elles ne sont pas guéries c’est leur faute, c’est qu’elles n’en ont pas fait assez. C’est très culpabilisant. Et c’est dangereux, il n’y a pas deux endométrioses qui sont pareilles donc on ne peut pas comparer. C’est-à-dire que quelqu’un va obtenir des résultats positifs en suivant tel traitement avec un stade 1, mais il n’y a aucune garantie qu’en faisant exactement pareil sur quelqu’un d’autre, ça fonctionne aussi. Et puis en termes de bienveillance, autant on pouvait reprocher par mal de choses aux médecins, autant dans certains groupes autour de l’endométriose, on reproduit les mêmes mécanismes. J’écoute des conférences de personnes qui n’ont aucun diplôme en psychologie et qui font des théories autour de blessures avec la mère, dans les lignées féminines ou leur passé, c’est ultra culpabilisant. Et si en soi la solution proposée peut être bonne, dans le sens où les femmes doivent apprendre à respecter leurs limites et leurs besoins et à prendre soin d’elles, les raisons pour lesquelles il faut le faire, elles, ne sont pas bonnes. C’est très culpabilisant et ça peut paralyser. Oui c’est vrai que j’ai beaucoup de femmes atteintes d’endo qui ont été victimes d’abus (80% de mes patientes). Je leur pose toujours la question parce que ça a une pertinence dans la prise en charge psychologique. Mais ce n’est pas leur faute si elles ont subi ces violences. Le trauma peut engendrer une dissociation et le corps va en effet sécréter plus de cortisol et donc ça créé un terrain inflammatoire qui n’est pas bon pour l’endo. Être abusée, c’est donc un facteur de risque, c’est une circonstance aggravante, mais ce n’est pas la cause de l’endométriose. »

Ainsi, il peut être très intéressant de comprendre le pourquoi du comment, et si ça nous fait du bien de travailler sur soi, pourquoi pas, mais ne surtout pas tomber dans la culpabilisation. Il faut arrêter de rendre les femmes responsables de tout dès qu’on en a l’occasion, et ce même jusque dans la maladie.

Des choix éclairés

« Pour moi, la pression en ce moment est surtout liée à l’alimentation, et même si je fais des écarts lorsque j’ai une soirée chez des amis, je fais vraiment attention à ce que je mange la plupart du temps. » confie Corentine.

Corine Redondo-Lambert nous parle alors de « choix éclairés » afin d’éviter de culpabiliser et de porter la responsabilité de la douleur. « J’explique à mes patientes que l’important c’est d’être ok avec leur décision. Même si les professionnels de santé pensent qu’il faudrait faire autrement (ne pas boire du tout d’alcool, etc.), ce n’est pas eux qui vivent leur vie. Si elles veulent faire une soirée et que ça en vaut la peine, elles vont mieux le vivre. Quand elles acceptent le deal, alors c’est ok, et là elles ne vont pas vivre la culpabilité. Si elles n’acceptent pas et qu’elles ne conscientisent pas leur choix, c’est plus compliqué. C’est vraiment une question de posture par rapport à la maladie. »

« Quand on tombe malade c’est un monde à recréer, jusqu’à ce qu’on prenne ses marques. Au bout d’un moment, après quelques temps, l’endo, ça fait partie du quotidien, et quand on a pris ses habitudes, la charge mentale disparait. »

 

Rédigé par Gala Avanzi - Journaliste

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