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L’endométriose est une maladie qui subit une double peine : non seulement elle est invisible, mais en plus, c’est une maladie qui touche les femmes. Cette pathologie est extrêmement douloureuse, pourtant les douleurs sont incroyablement minimisées. C’est l’une des raisons pour laquelle elle est si difficile à diagnostiquer, on ne croit pas les femmes quand elles disent qu’elles ont mal. Et pour cause, depuis qu’on est tout petits, on est éduqués dans l’idée que les femmes sont plus douillettes que les garçons, qu’elles sont plus chochottes. En effet, qui ne s’est jamais entendu·e dire « allez fais pas ta fillette ! » ?

Ça va encore plus loin, les femmes ont tellement intériorisé qu’elles étaient plus douillettes, qu’elles vont tout faire pour cacher leur douleur. Pourtant, comme nous le dit Corentine, étudiante en joaillerie de 30 ans « j’ai mal au ventre constamment, mes nuits sont horribles. Je vis un enfer mais j’arrive à masquer que ça va mal ». Thibaud, 27 ans, psychologue, nous explique : « J’ai énormément de jeunes patientes qui souffrent d’endométriose et qui n’osent pas en parler. Je fais tout pour que ce ne soit pas quelque chose de tabou. J’ai réalisé que ce qui les préoccupe, c’est l’image qu’elles renvoient. Elles ont peur d’être « la fille chiante qui a mal au ventre en soirée et qui est obligée d’aller s’allonger ». Probablement la faute au fait qu’on ait nié les douleurs et les ressentis pendant des années. Ça les met dans une forme de culpabilité qui est encore plus grande. »

Des douleurs de femmes

Comment on en arrive à minimiser et invalider autant la douleur des femmes qui souffrent d’endométriose, alors mêmes qu’elles nous racontent vivre l’enfer ? Alors même qu’elles se retrouvent à se tordre de douleur, à ne plus pouvoir bouger, à ne plus pouvoir travailler … ? Pourquoi cette douleur n’est pas autant écoutée que pour une pathologie dite et considérée comme grave ? Probablement la faute à des années de sexisme ordinaire, de conditionnement et d’idées préconçues sur les femmes et le fait qu’elles seraient soi-disant plus fragiles et sensibles à la douleur que les hommes.

Les stéréotypes de genre sont tellement imprégnés, ils dictent nos comportements les plus inconscients. Les chercheurs Nicolas Mathevon et Florence Levréo ont mené une étude révélant que les parents ont tendance à penser que les pleurs des bébés filles sont plus aigus que ceux des bébés garçons : « Les adultes considèrent que les garçons doivent avoir une voix plus grave que les filles, et appliquent ce jugement aux pleurs de bébés de trois mois ». Le plus intéressant dans cette étude, est que lorsqu’on propose les mêmes pleurs aux adultes, certains étant étiquetés « filles » et d’autres étant étiquetés « garçons », les hommes expriment « plus d’inconfort que les mêmes pleurs présentés comme « filles » ». Est-ce qu’on aurait intériorisé le fait que les garçons pleurent quand ils ont une bonne raison alors que les filles se plaignent sans raison ? Il semblerait bien.

Depuis notre plus tendre enfance, on est biberonné·e·s à l’idée que les femmes sont des pleurnicheuses. Alors quand il s’agit de douleurs qui touchent seulement le genre féminin, il n’est pas étonnant qu’on ait tendance à les minimiser, à les invalider voire à les mépriser. Sans même parler d’endométriose, les douleurs liées aux menstruations sont constamment banalisées voire raillées. Pourtant, un appareil qui reproduit les douleurs menstruelles a récemment été mis sur le marché…

Dans une vidéo publiée sur YouTube, le média Suisse Tataki interroge 5 hommes et leurs conjointes sur leurs menstruations. Pour eux, c’est quelque chose qu’ils ne prennent pas trop au sérieux. Lorsque la journaliste leur fait tester l’appareil, l’un d’entre eux reconnaît même qu’il irait à l’hôpital s’il présentait ce genre de douleurs. C’est un peu gênant, de devoir en arriver là, pour que les douleurs soient enfin prises en compte.

Masquer la douleur

Quand une femme souffre de crampes liées à ses menstruations, on lui dit que c’est normal d’avoir mal. Cela pose un double problème quand il s’agit de diagnostiquer l’endométriose, certains médecins, d’une part, vont minimiser les douleurs sans les prendre autant au sérieux qu’ils ne le devraient. D’autre part, les femmes en viennent à se censurer elles-mêmes, comme nous raconte Claire, 31 ans, dont les crises d’endométriose sont arrivées subitement il y a 3 ans, « Ça m’est arrivé une fois en cours de sport et j’avais honte parce que je n’arrivais pas à me relever, je ne pouvais pas me remettre droite. Ma collègue a dû m’aider à marcher. J’essayais de rigoler et je me confondais en excuses de ne pas être capable de me relever, mais je souffrais le martyre ».

Elle nous raconte aussi une nuit durant laquelle elle a vécu un véritable enfer pendant le premier confinement lié à la Covid 19 : « la crise était intense, je n’ai pas pu dormir de la nuit, ça m’a réveillée, j’ai vomi alors que j’étais pliée en deux sur le sol. » Elle se justifie presque « je n’étais pas en mode Drama Queen à pleurer mais je me suis inquiétée ». « Il m’était impossible de regagner ma chambre car il fallait monter des escaliers et j’étais paralysée, au bout de 2h j’ai réussi à me traîner dans la chambre de ma mère qui était plus accessible et j’ai essayé de dormir près d’elle. J’essayais de faire le moins de bruit possible pour ne pas la réveiller de nouveau, mais c’était difficile parce que je me tordais de douleur. » Et d’ajouter « comme c’était le covid, j’ai attendu le lendemain midi pour aller aux urgences, j’avais peur de déranger. C’est ma mère et mon frère qui m’ont poussée à y aller. »

On constate ainsi que certaines femmes souffrent, mais s’en excusent. Elles souffrent, mais se forcent à sourire. Elles souffrent, mais en silence.

L’impact de la douleur au quotidien

Pour Corine Redondo-Lambert, psychologue de santé spécialisée en santé gynécologique, endométriose et adénomyose, « certaines femmes vont avoir tendance à cacher, faire comme si de rien n’était, parce qu’elles ont peur de ne plus avoir de vie sociale, peur de ne pas être aimée. Comme si elles ne pouvaient pas avoir de valeur aux yeux des autres si elles n’arrivent pas à tenir leurs obligations sociales. Elles se rendent compte qu’elles sont de moins en moins invitées parce qu’elles annulent souvent à la dernière minute à cause des crises … Alors ça fait du tri dans l’entourage. C’est une maladie à double fardeau, il y a un vécu physique et une isolation sociale. Il s’agit d’une maladie intime, taboue, et de manière générale, l’entourage ne comprend pas, ne se la représente pas et a de la peine à donner de l’empathie. Ainsi, les femmes souffrent deux fois, n’importe qui dans cette situation présenterait des symptômes dépressifs. Le problème, ce ne sont pas les femmes, ce n’est pas leur tête qui va mal, dans un contexte plus soutenant, elles n’auraient pas de symptômes dépressifs. Mais elles se retrouvent dans un profond mal être lié à la situation. »

Une maladie invisible

Le problème avec l’endométriose, c’est que c’est une maladie dite « invisible ». Et comme bon nombre de maladies chroniques, c’est moyennement pris au sérieux. Sarah, 31 ans, stratège en automobile nous explique, « C’est une maladie où il y a des lésions mais elles ne sont pas visibles. Alors j’essaie de rendre les choses concrètes pour les gens. Je leurs dis « imagine qu’à l’intérieur ça se coupe, ça saigne et ça cicatrise ». Pour ma part, j’ai certaines lésions qui sont visuelles, ça s’est posé sur des ligaments et sur des nerfs en particulier qui font que je ne peux pas avoir l’usage de mes jambes, je ne peux pas marcher en restant droite et donc ça rend la chose un peu plus visuelle pour les gens et ils comprennent mieux. C’est malheureux mais quand c’est un peu spectaculaire, ça rend la maladie plus concrète. »

 Des douleurs relatives

Corine Redondot-Lambert nous explique aussi que nombre de femmes estiment que leurs douleurs ne sont pas légitimes parce qu’elles se comparent à d’autres femmes. Elle souhaiterait casser ce « prototype de la femme atteinte d’endométriose ». « Il y a autant de douleurs et d’endométrioses que de femmes. C’est pour cela que c’est compliqué. Les femmes lisent tellement de témoignages sur internet d’autres femmes souffrant d’endo, et elles me disent « mais pour elles c’est bien pire que moi ». Lorsque je me retrouve face à une patiente pour la première fois en consultation, je dois tout de suite recadrer par rapport à son type d’endométriose à elle. Et ce n’est pas parce qu’il y a pire que soi qu’on ne souffre pas. »

 

Rédigé par Gala Avanzi - Journaliste

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